Parmi les nombres réels, les rationnels, qui sont les quotients de deux entiers, sont considérés comme les plus simples. Un problème profond de théorie des nombres consiste à étudier comment on peut approcher un nombre irrationnel par des rationnels. Bien sûr, un réel peut toujours être approximé aussi près que l’on veut par des rationnels : il suffit d’écrire le développement décimal et de le couper assez loin, selon la précision voulue. Par exemple, le nombre $\pi$ peut être approché au cent-millième près par $3\,1415/10\,000$. Cette approximation est bien moins bonne que $355/113$, qui approche $\pi$ à $2\cdot10^{-7}$ près : en effet, avec un dénominateur plus petit ($113$ contre $10\,000$), on obtient une précision dix fois meilleure.
Il est d’usage de mesurer la « qualité » d’une approximation ou mieux, d’une famille d’approximations, par la taille de leurs dénominateurs. Ainsi, on sait depuis les travaux de Dirichlet au XIXe siècle que l’on peut approximer n’importe quel réel par des des rationnels avec une précision donnée par le carré du dénominateur : pour tout $x$, on peut trouver une infinité d’entiers $p$ et $q$ tels que
\[\left|x-\frac{p}{q}\right|\le\frac{1}{q^2}.\]
Ceci signifie que l’on peut approcher tout réel $x$ aussi près que l’on veut par des bonnes approximations.
Peut-on choisir une fonction plus petite que $1/q^2$ pour avoir des approximations encore meilleures ? On sait grâce à Hurwitz (1891) que dès que l’on met $f(q)=\frac{1}{\sqrt5 q^2}$ à la place de $\frac1{q^2}$, certains nombres ne sont plus approchables. Une exception connue est le nombre d’or $(1+\sqrt5)/2$.
En 1924, élargissant le point de vue, Khintchine a démontré un résultat emblématique qui décrit un phénomène de « tout ou rien » : en gros, étant donné une qualité d’approximation demandée, soit presque aucun nombre réel ne peut être approché à cette précision, soit presque tous les nombres réels peuvent l’être. Ici, « presque tout réel » a un sens technique : tout réel en dehors d’un ensemble de mesure nulle ; cela exprime que la probabilité de tomber sur une exception est nulle.
Plus formellement, étant donnée une fonction $f(q)$, l’ensemble des réels pour lesquels l’inéquation $\bigl|x-\frac{p}{q}\bigr|\le f(q)$ admet une infinité de solutions est soit de mesure nulle, soit de mesure pleine. Khintchine a de plus décrit une classe de fonctions $f(q)$ (plus petites que $1/q^2$) pour lesquelles presque tout réel $x$ était bien approchable.
En 1941, Duffin et Schaeffer ont amélioré le résultat de Khintchine et ont proposé une conjecture qui décrit complètement les conditions que l’on peut imposer à $f$. Sommes-nous prêts pour un énoncé technique (en) ? La conjecture exprime que pour une fonction positive $f$, les conditions suivantes sont équivalentes :
- pour presque tout réel $x$, il existe une infinité de rationnels $p/q$ tels que $\bigl|x-\frac{p}{q}\bigr|\le f(q)$ ;
- la série $\sum f(q)\varphi(q)$ est divergente (où $\varphi$ est l’indicatrice d’Euler).
C’est cette conjecture que Koukoulopoulos et Maynard ont démontré : elle est donc une amélioration optimale du résultat de Khintchine.