Comment la physique quantique, la découverte de la superfluidité et autres propriétés surprenantes de l’hélium tissent-elles à côté de l’histoire des avancées révolutionnaires de la science contemporaine, celles de scientifiques confrontés à la montée des périls, xénophobie, antisémitisme, course à l’armement et à la Seconde Guerre mondiale ? Quelle est la parole du déraciné, le « géant » des mathématiques, Alexandre Grothendieck, héritier de parents révolutionnaires et réfugiés et “réfugié en lui-même” lorsqu’il s’exile dans un village de l’Ariège dans les années 1970 ?
Cette semaine et la suivante, nous vous proposons de suivre l’approche interdisciplinaire des mouvements de population, volontaires ou contraints, dans le cadre du colloque du collège de France « Migrations, réfugiés, exil ». Aujourd’hui et demain, le questionnement sur les effets des contacts entre migrants et sociétés se posera autour des notions d’asile et de refuge.
Sébastien Balibar, Directeur de recherches émérite au CNRS, membre du Laboratoire Pierre Aigrain (à l’École Normale Supérieure,) en s’appuyant des travaux de l’historienne des sciences, Diane Dosso, nous présente différents scientifiques liés au mécénat anglais et au Front Populaire. Contexte mobilité universitaire avec le Canadien Jack F. Allen qui fait ses recherches à Cambridge sur la superfluidité et contexte montés des périls politiques avec le russe Piotr Kapitza, constructeur du liquéfacteur pour l’hélium, et surtout ses 2 personnages principaux dans cette aventure collective, Fritz London, constructeur de la Physique quantique avec Erwin Schrödinger, qui fuit l’antisémitisme nazi et le physicien, Laszlo Tisza qui, « lui, fuit les persécutions politiques de son pays, la Hongrie ». Tous deux ont bénéficié du « Comité d’accueil et d’organisation du travail des savants étrangers » (où se sont engagés, Louis Rapkine, Paul Langevin, Jean Perrin, Edmond Bauer, Frédéric et Irène Joliot-Curie, Jacques Hadamard et sa fille Jacqueline...). Cela a « permis, nous dit Sébastien Balibar, la rencontre fructueuse des deux réfugiés en France ainsi que leur nouvel exil aux États-Unis, London dès septembre 1939, Tisza de justesse en mars 1941. »
Fresque collective entre plusieurs pays pour Sébastien Bablibar et plongée dans un itinéraire individuel, pour le mathématicien Alain Connes, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’Analyse et Géométrie. Il nous propose une lecture sensible des écrits d’Alexandre Grothendieck, qui revient sur sa relation aux mathématiques et sur une « illumination » de son père. Sa relation aux mathématiques, au-delà de la rencontre avec un milieu respectueux dans un contexte d’après-guerre plus ouvert, s’est-elle nourrie aussi du parcours révolutionnaire et errant de ses parents originaires d’Europe de l’Est dans la période agitée et conflictuelle du premier XXe siècle ? De son parcours d’enfance, de l’Allemagne à la France, comme réfugié, « au réfugié en lui-même », comme le qualifie Alain Connes, quand Alexandre Grothendieck, l’auteur admiré des Eléments de géométrie algébriques et de nombreuses notes, se retire du monde dans un village d’Ariège dans les années 1970, que pouvons-nous apprendre de ce créateur mathématicien atypique ?
Et nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France pour la matinée du 13 octobre avec en première partie : Sébastien Balibar, avec « Savants réfugiés : comment la physique quantique devint visible à l’œil nu, » et en seconde partie, par Alain Connes, Professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’analyse et géométrie, pour sa contribution « Alexandre Grothendieck, créateur réfugié en lui-même ».