Laurent Schwartz (1915-2002)
Piste verte Le 30 mai 2015 Voir les commentaires (1)
Cet article propose un aperçu de l’exposition qui se tient à l’École polytechnique à l’occasion du centenaire de la naissance de Laurent Schwartz (1915-2002). Cette exposition a été conçue à partir de nombreux documents d’archives issus de l’important fonds que Schwartz a légués à l’École polytechnique, ainsi que des pièces prêtées pour l’occasion par la famille du mathématicien. Elle offre aussi la possibilité de voir et entendre Laurent Schwartz donnant un cours (films inédits venant d’être numérisés) et une interview.
« Mathématicien aux prises avec le siècle », tel est le titre de l’autobiographie de Laurent Schwartz parue en 1997. La frise chronologique qui ouvre l’exposition témoigne de la richesse des engagements et activités nombreuses de Schwartz, dans un siècle lui aussi mouvementé. L’exposition qui se tient à l’École polytechnique propose de découvrir les multiples facettes de l’homme, du mathématicien, enseignant et chercheur, et de l’homme public, dont on trouvera un résumé dans une brève parue récemment.
A partir de quelques pièces issues de cette exposition, cet article propose d’en donner un aperçu aux lecteurs d’Images des mathématiques.
Une médaille : la médaille Fields
Laurent Schwartz est le premier mathématicien français lauréat de la médaille Fields. Ce prix lui a été décerné pour sa théorie des distributions lors du premier Congrès international de mathématiciens d’après guerre qui s’est tenu en 1950 à Cambridge (Mass.).
Un lieu : Autouillet, la maison de campagne familiale.
“Autouillet a été mon Eden”, écrit Laurent Schwartz dans son autobiographie. [1]. La propriété familiale lui est chère : il y découvre la nature, les papillons, et s’y trouve au calme pour travailler :
Il y a plus de charme aux mathématiques à Autouillet qu’aux mathématiques devant mon bureau parisien. (...) Je me sens d’une solitude et d’une liberté totales, heureux au grand air, quitte à bien me couvrir et, s’il y a du vent, à lester les feuilles de papier afin qu’elles ne s’envolent pas. J’ai trouvé beaucoup de mes théorèmes les plus intéressants à Autouillet. La majeure partie de mon cours à l’École polytechnique y a été rédigé.
Laurent Schwartz est enterré dans le cimetière d’Autouillet
Une (autre) identité : Laurent Sélimartin
C’est pendant la guerre que Laurent Schwartz et sa femme Marie-Hélène entendent parler de Bourbaki [2]. Laurent Schwartz rejoint le collectif à Clermont-Ferrand, où s’est repliée l’Université de Strasbourg, et y soutient sa thèse. À partir de 1943, la famille Schwartz, Laurent, Marie-Hélène et Marc-André qui vient de naître, vit sous une fausse identité près de Grenoble.
Un traité : Théorie des distributions. Paris, Hermann, 1950, 1951
Pourquoi les livres de Laurent Schwartz sont-ils si aboutis ? Outre la grande clarté d’exposition, cela tient aussi à de nombreuses relectures, ainsi qu’aux corrections au fur et à mesure des éditions successives, suggérées par les courriers que lui font parvenir de nombreux lecteurs, comme ici Jean Leray (1906-1998).
Un cours prestigieux : le Cours Peccot
- Collège de France. Fondation Peccot. Affiches de cours L. Schwartz. Une extension de la dérivation et de la transformation de Fourier.
De janvier à avril 1946, Laurent Schwartz est chargé de l’honorifique “cours Peccot”, [3] où il peut exposer sa théorie des distributions pour la première fois devant un large public.
Une préparation minutieuse de ses cours...
... comme en témoignent ces notes minutées pour son enseignement des distributions à l’École polytechnique
1960, un premier arrêté signé par Messmer : révocation de l’École polytechnique
- Lettre de P. Messmer, le 11 octobre 1960, mettant fin aux fonctions de professeur de Laurent Schwartz.
Pour avoir signé le “Manifeste des 121”, Laurent Schwartz est révoqué de l’École polytechnique. Il prend par ailleurs position contre la torture de multiples manières, notamment dans sa participation au Comité Audin et au jury de la soutenance de thèse in abstentia de Maurice Audin en 1957.
1965, un second arrêté signé par Messmer : création du laboratoire de mathématiques de Monsieur Laurent Schwartz.
Un décret de 1957 officialise le statut des laboratoires de l’École polytechnique. Schwartz crée ainsi le premier laboratoire de mathématiques. [4]
Séminaire rouge
Ce séminaire d’analyse fonctionnelle, rouge par sa couverture et non son orientation politique, est l’un des premiers séminaires de mathématiques de recherche ayant lieu au sein de l’École polytechnique, permettant une ouverture plus grande aux mathématiciens parisiens. Il sera suivi par de nombreux autres.
Un pays : le Viêtnam
Laurent Schwartz a fait de nombreux voyages au Vietnam, pour des visites à caractère politique (membre du Tribunal Russell), scientifique et mathématique. Son intérêt et amour pour le pays et ses habitants est toujours fidèle ; il se décrit comme “vietnamien de coeur”. [5]
Schwartz visitera d’autres pays pour lesquels il rédige des rapports sur la situation mathématique (Amérique du Sud, Asie du Sud-Est).
Un Comité : le Comité des mathématiciens
Schwartz a fait partie de très nombreux comités, et a signé de nombreuses pétitions. Son engagement pour la défense des droits de l’homme a pris de nombreuses formes. Le Comité des mathématiciens, créé en 1973 avec Henri Cartan et Michel Broué est l’une d’elles. Ce comité prend la défense de mathématiciens emprisonnés pour des raisons d’opinion, en s’inspirant à la fois du Comité Audin et de Amnesty International. Il mobilise la communauté mathématique en organisant ses réunions à l’issue du séminaire Bourbaki ou des Congrès Internationaux des mathématiciens. Le comité donne aussi forme à la mobilisation des mathématiciens par la diffusion régulière de son Bulletin, comme celui de mars-avril 1976 dont on peut voir la couverture ci-dessus.
Et les papillons ?
Ils ne sont pas oubliés de l’exposition où l’on peut admirer de beaux spécimens issus de la collection de Schwartz ! [6]
A voir à l’École polytechnique de mai à juin 2015 puis à l’École normale supérieure de juillet à octobre.
Remerciements : Frédéric Brechenmacher, Olivier Azzola, Marie-Christine Thooris et le Centre de ressources historiques de l’École polytechnique, Alain Guichardet. Je remercie aussi les relecteurs d’Images des Mathématiques Pierre Baumann et Jacques Lafontaine.
Notes
[1] Laurent Schwartz, Un mathématicien aux prises avec le siècle, Odile Jacob 1997, p.32. Le passage cité un peu plus loin se trouve p. 37.
[2] Voir à ce sujet l’article Bourbaki a 80 ans de Michèle Audin, ainsi qu’une émission de radio et le site suivant.
[4] Pour en savoir plus sur les liens entre Laurent Schwartz et l’École polytechnique, voir l’article suivant d’Alain Guichardet
[5] Voir, p.481 de l’autobiographie de Laurent Schwartz
[6] Voir aussi la brève suivante
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Pour citer cet article :
Anne-Sandrine Paumier — «Laurent Schwartz (1915-2002)» — Images des Mathématiques, CNRS, 2015
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Commentaire sur l'article
Laurent Schwartz (1915-2002)
le 1er juin 2016 à 08:16, par christian