Mathématiques et musique ?
Le 26 juillet 2009 Voir les commentaires (2)
Génie des maths égale musicien prodige ?
Depuis toujours, j’ai entendu dire que les mathématiciens de talent
sont doués pour la musique.
Depuis longtemps, je suis frustré par l’absence apparente
de vérifications (ou d’infirmations) argumentées de cette
« vérité ».
Que la pratique de la musique,
et en particulier de la musique classique
pour celle qui m’est la plus familière,
soit inégalement répartie parmi les classes sociales,
cela me semble incontestable.
Il n’est pas nécessaire d’être
un marxiste fondamentaliste pour réaliser
que les quatuors à corde amateurs
recrutent plus souvent leurs membres
chez les bourgeois que chez les prolétaires.
Mais n’y a-t-il pas un sociologue qui puisse me dire,
avec précision chiffrée,
si oui ou non les mathématiciens sont plus souvent musiciens
que, par exemple, les médecins ?
Sans trouver de réponse définitive à cette question,
j’ai relevé plusieurs points qui m’intéressent dans
Musicophilia (Revised & Expanded, Vintage Books, 2008),
le passionnant dernier livre du neurologue Oliver Sacks
(connu notamment pour avoir publié en 1985
The man who mistook his wife for a hat,
L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau).
Le point qui m’a le plus frappé, c’est que la pratique de la musique
implique des modifications géométriques de plusieurs parties du cerveau,
et que l’analogue chez les mathématiciens n’a pas été observé.
Citation de la page 100 du livre de Sacks (ma traduction) :
Les anatomistes d’aujourd’hui auraient peine à identifier
le cerveau d’un artiste visuel, d’un écrivain ou d’un mathématicien —
mais ils pourraient reconnaître sans un moment d’hésitation
le cerveau d’un musicien professionnel.
Ce serait donc une différence importante et mesurable
opposable à l’amalgame « maths = musique ».
Certes, les tenants de l’égalité trouveront aussi quelques points de réconfort.
Ainsi les mathématiques et la musique se distinguent toutes deux
par la possible précocité de l’apparition des dons (page 99) ;
par l’existence d’« idiots savants »
aux capacités générales fortement amoindries
mais avec d’exceptionnelles capacités très pointues,
par exemple calculatoires ou musicales ;
ou par les révélations qu’apportent à leurs auteurs
certains de leurs rêves (page 310).
Mais le dernier chapitre du livre de Sachs décrit
un monde où les mathématiques n’ont aucune place ;
le monde de la musique qui
est souvent la dernière étincelle, intime et précieuse,
capable d’animer les patients déments chroniques de type Alzheimer.
Le livre se termine par cette phrase :
la musique n’est pas un luxe pour eux, mais une nécessité,
qui peut avoir en tout dernier ressort la faculté
de restaurer [ces patients] à eux-mêmes, et aux autres,
au moins pour un moment.
La plupart d’entre nous saurons sans doute apprécier
bien plus longtemps Ravel, Miles et les Beatles que Poincaré, Armand Borel et Turing.
S’il est encore temps de formuler des voeux pour l’année nouvelle,
je vous souhaite
de goûter l’harmonie des mathématiques
et de pouvoir pratiquer sans compter la musique qui vous plaît.
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Pour citer cet article :
Pierre de la Harpe — «Mathématiques et musique ?» — Images des Mathématiques, CNRS, 2009
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Commentaire sur l'article
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le 15 janvier 2009 à 08:29, par BRg57
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le 15 janvier 2009 à 14:17, par Pierre de la Harpe