Faut-il arrêter d’enseigner les maths à l’école?
le 6 de agosto de 2012 à 14:11, par Karen Brandin
Même si je conserve de moins en moins l’espoir, même lointain, de voir l’enseignement renaître de ses cendres, je tiens à vous remercier de prendre le temps d’être triste devant ce à quoi nous assistons, manifestement impuissants, puisque minoritaires. Je regrette seulement que les voix qui s’élèvent soient toujours les mêmes car on pourrait s’attendre à ce que les enseignants expriment plus haut leur inquiétude, leur désarroi, pourquoi pas leur colère, en particulier les enseignants de classes préparatoires. Lorsque l’on consulte le programme de terminale S qui va entrer, pour le meilleur er surtout le pire, en application dès le mois de Septembre 2012 et que l’on connait l’ambition de ce type de formation, on comprend mal comment un fossé tout simplement gigantesque pourra être franchi sans une réelle souffrance. Il faut donc s’attendre à «souffrir et faire souffrir», ce qui n’est pas le meilleur moyen de donner envie aux étudiants de s’engager dans des études scientifiques. Si les choses restent en l’état au lycée, il faudra selon moi envisager une année de préparation à la première année de classe préparatoire.
Je reprends ci-après la trame d’une remarque rédigée suite à la chronique de Cédric Villani sur ce même site et qui finalement trouve davantage sa place ici.
J’ai eu l’occasion deux reprises via le courrier des lecteurs («Résistez» puis
«Des nouvelles du secondaire : chronique d’une agonie annoncée») de m’insurger sur ce qu’est en train de devenir l’enseignement des mathématiques au lycée mais force est de constater que le débat progresse peu, les quelques enseignants que j’ai pu interroger semblent résignés.
Que les thèmes évoluent en terminale, pourquoi pas ? ; les maths sont sensibles, il est donc naturel que toutes les sensibilités soient représentées mais le problème c’est que les outils manquent au lycée où mathématiquement on est encore «petits» si bien qu’ on aborde tout un peu sans aucune idée générale, aucune ligne directrice en omettant même l’histoire des objets et surtout la notion de «structure». J’ai le sentiment que le programme en terminale S est simplement au service d’une épreuve appelée «baccalauréat» mais n’a en aucun cas pour objectif de donner une chance aux élèves de gagner en autonomie et d’acquérir, même modestement, une vue du dessus qu’ils pourront peut-être appliquer plus tard dans leur scolarité à des contextes apparemment très différents.
En particulier, la notion d’unité des mathématiques n’est pas respectée dans le secondaire ; cette idée de faire des maths ludiques (avec les sondages, les échantillonnages) est un moyen comme un autre de vendre le produit, de s’excuser qu’il soit (pour le moment) inévitable sauf que l’école n’est pas encore un supermarché.
J’ai sous les yeux les exercices conseillés relativement au (nouveau) chapitre consacré à une initiation à la loi normale (un outil très riche et donc un thème très ambitieux) et comme on pouvait le craindre le maître mot est finalement : «comment se servir de la calculatrice ?» (toutes marques confondues car on croule sous les capture d’écrans en couleur bien sûr). Sur ce thème ils sont intarrissables.
Ces nouveaux chapitres sont-ils donc un prétexte à acquérir une plus grande dextérité avec les «machines» au sens large ? C’est pour cela que l’on a supprimé la technique d’intégration par parties, la notion de suites adjacentes, celle d’équations différentielles, la notion de composition de fonctions et celle de limite en première ? C’est pour cela que les chapitres sur les nombres complexes se trouve réduit à sa plus simple extrémité ?
Les nombres complexes sont-ils des mathématiques démodées comme on l’entend de plus en plus souvent ? Il faut décidément du courage pour ne perdre le goût de ce que l’on enseigne. Je n’ai pas le sentiment qu’on fasse un cadeau aux élèves en leur cachant la difficulté et l’essence des objets ; on les empêche simplement de faire véritablement connaissance avec cette discipline et d’y trouver peut-être une terre d’accueil.
Quant au sujet du bac 2012, il était sans saveur en section ES mais le sujet est essentiellement le même depuis plus de dix ans sans doute ; en série scientifique, j’étais affligée si bien que j’ai cru comme d’autres m’être trompée d’intitulé. Le premier exercice est absolument déconcertant ; c’est ce que l’on demande mi première S et encore en début du chapitre sur la dérivation ... Tout çà pour çà ! On peut consulter les sujets de tous les pays, nous n’avons pas d’équivalent mais il y avait de l’algorithmique sortie de nulle part bien sûr mais l’honneur était sauf. Quant à l’exercice de spécialité, on ne pouvait pas imaginer plus dépouillé d’intérêt car absolument pas représentatif du programme. Il avait l’avantage en revanche d’être directement transportable pour les élèves n’ayant pas suivi l’enseignement de spé d’où un gain de temps substantiel. Dommage ...
On entend parfois que les maths sont aujourd’hui à l’enseignement ce qu’était autrefois le latin ; elles connaîtront peut-être d’ici peu le même destin, celui
d’ option possible et de ce fait, rien de plus qu’un moyen d’être, comme on dit, «dans une bonne classe». On fera des maths parce qu’on y aura intérêt. Dommage ...