Comment j’ai détesté les maths !
le 8 janvier 2014 à 09:48, par Karen Brandin
Merci beaucoup pour cette critique au sens noble ; nous sommes quelques-uns à être intervenus autour de ce documentaire dans une rubrique ou une autre donc je me permets de mettre cette fois à leur place les remarques que ce film a pu tour à tour nous inspirer ... Pour ma part, j’ai eu le même ressenti que vous mais comme vous, je suis heureuse de cette initiative.
J’ai d’ailleurs gagné à la sueur sinon de mon front mais de ma souris le sac « Comment j’ai détesté les maths » que tout le monde doit m’en envier ;-) et j’ai pu offrir à une struture de soutien scolaire l’affiche qui a un très joli rendu.
Extrait d’Images des mathématiques :
le 2 décembre à 18:24, par Gilbert Cram
Bonjour, bravo cette revue de presse mensuelle, un sacré boulot ! Cependant, j’avoue être un peu heurté par le concert de louanges pour le film Comment j’ai détesté les maths. Il me semble en effet que ce film rate son objectif et dit pas mal de bêtises sur les maths. Les maths méritent vraiment mieux que cela. J’ai écrit un petit truc sur ce que j’en ai pensé ici : http://dans-le-pli.blogspot.fr/2013/11/comment-jai-deteste-un-film.html. Alors, bien-sûr, je ne suis ni Le Monde, ni Libé et encore moins la Tête au carré mais c’est un autre regard sur ce film. Cordialement
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Revue de presse novembre 2013
le 3 décembre à 11:13, par Karen Brandin
Je rebondis sur le commentaire précédent concernant le film documentaire « Comment j’ai détesté les maths » avec des mots un peu moins « sévères » sans doute. Comme un certain nombres d’entre nous, j’attendais cette sortie avec une grande impatience ; le 27 Novembre promettait d’être ni plus ni moins que mon 25 Décembre ! Cette date allait d’ailleurs être pour moi l’occasion de renouer avec les salles obscures 20 ans plus tard (mon dernier souvenir remontait à l’âge de 15 ans avec le film de Jean-Paul Rappeneau Cyrano de Bergerac :-)).
Un premier « problème » sans doute est que le film, pas seulement par souci de promotion (ce qui serait au demeurant légitime) mais aussi de « partage », a été par trop défloré, c’est-à-dire que lorsque vous vous étiez procurés le dossier de presse (un joli petit livret relié d’une vingtaine de pages), lorsque vous aviez lu les articles concernés dans les journaux, les magazines (je pense au magazine Tangente entre autres), écouter les interviews ( Pour la science, « la tête au carré ») et regarder la bande annonce ; lorsqu’en outre vous avez dans votre bibliothèque et en mémoire les ouvrages d’Anne Siety, ma foi vous aviez de quoi reconstituer le film et c’est dommage. Moralement, j’ai le sentiment qu’on en a « trop dit, trop tôt » d’autant que c’est un documentaire « à voir » mais aussi « à lire » car les sous-titres sont nombreux.
C’est peut-être un autre problème pour le public visé en priorité à savoir, j’imagine, les élèves ou du moins « les jeunes ». La démarche d’aller voir un film autour des maths, même s’il s’agit d’un portrait de la discipline et pas d’un cours magistral ou d’une série d’exercices avec un questionnaire à la sortie, ne va pas de soi et finalement cet effort va en demander un autre, à savoir celui de la lecture donc je crains que cela soit trop contraignant pour la plupart des élèves. On expérimente chaque jour dans les classes à quel point il est difficile de capter leur attention, de susciter leur intérêt et de gagner le combat contre le portable et les SMS. C’est un public exigeant, de moins en moins pudique, qui ose soupirer, qui ose se lasser et pour lequel il faut déployer une énergie démentielle de séduction. Le documentaire, même s’il est vivant car basé sur des êtres vivants parfois attachants (je pense à C. Villani et F. Sauvageot) qui vivent intensément la matière, manque peut-être de cette énergie vitale qui tient en haleine et qui interroge (le seul exemple sur lequel je puisse statuer est celui de Bordeaux où « Comment j’ai détesté les maths » n’est diffusé que dans un cinéma de quartier tout à fait charmant mais d’une autre époque disons et à des créneaux horaires inattendus ... Pour le moment, je n’ai pas d’écho d’un établissement scolaire qui projette d’y accompagner ses 1S ou ses Tale S ce qui est vraiment regrettable).
Ensuite, qui va ou est allé voir ce film spontanément, en particulier sans appréhension ? : les gens qui sont bien loin de détester les maths et que cette discipline rassure au contraire, sécurise. C’est un public hétérogène autour ce fil conducteur que sont les mathématiques, pas plus difficile à séduire qu’un autre mais qui, instinctivement, va rechercher une structure, une cohérence, une unité, des correspondances et dans tous les cas, quelque chose de dense, d’abouti et c’est peut-être là que le dcumentaire pêche le plus. On assiste à des sauts de puce d’un intervenant à l’autre, d’une époque à l’autre, des maths dites « pures » aux maths dites « appliquées » mais on sort de cette 1h40 un peu frustrés, un peu sur notre faim.
On a le sentiment que ce documentaire est une première partie mais qu’il ne peut pas s’arrêter là parce qu’il y a tant à dire. Je pense que pour Olivier Peyon cette aventure a été fascinante (on rêve tous d’accéder à ces temples de la pensée mathématique dont on n’a pas su mériter l’accès tout simplement) ; sa motivation était vraiment de la partager mais est-ce que c’était vraiment possible ? Il est réalisateur mais aussi acteur et nous vraiment « spectateur », presque « patient. » Dans tous les cas, bravo pour l’initiative et surtout « l’envie ».
Je suis allée voir ce film pas en tant que docteure en théorie des nombres mais vraiment en tant qu’enseignante dans le but d’être stimulée, d’être rajeunie dans mes convictions ; je voulais me souvenir pourquoi c’était et c’est encore cette matière plus qu’une autre parce qu’à force d’enseigner (même dans des conditions favorables), d’essayer de convaincre, on perd régulièrement la foi. Ils sont plus nombreux, plus jeunes, plus forts et c’est difficile de garder le cap. Malheureusement, j’ai quitté cette petite salle où nous êtions une dizaine à peine plutôt triste, pleine de regrets d’avoir revu ces instituts et de leurs bibliothèques et de penser qu’il avait falloir quelques heures plus tard « remonter sur scène », changer les exos sur les complexes, la dérivation en pièce de théâtre pour avoir une chance de se faire entendre, de se faire comprendre.
Bref, je ne sais pas si ce film est destiné à ceux qui détestent les maths mais je ne sais pas s’il est destiné à ceux qui les aiment ; il faut aller le voir dans tous les cas parce que cela permet de se rendre compte à quel point elles vous manquent ou elles vous ont manqué.
Revue de presse décembre 2013
le 4 janvier à 14:43, par Karen Brandin
Parce que cela a été évoqué à de nombreuses reprises et que la revue de presse de Janvier d’IdM s’en fait brièvement l’écho, j’éprouve le besoin de revenir sur ce qui était de prime abord une constatation avant de prendre petit à petit des allures de critique, voire de reproche comme quoi les femmes sont les grandes absentes du film documentaire « Comment j’ai détesté les maths ».
Je m’attendais à des avis tranchés : des enthousiastes qui ont vu en ce film une version « imagée » du calumet de la paix aux sceptiques entrés puis sortis des salles de cinéma sur la défensive mais j’avoue en revanche que cette notion (apparemment « ce problème ») de la « parité » me semble dans ce contexte complètement anecdotique.
L’idée d’une réflexion autour de cette personnification, de cette « incarnation » des mathématiques me paraissait très intéressante, prometteuse ; il n’est en effet pas rare d’entendre dire : « les maths ne m’aiment ou ne m’aimaient pas » donc consciemment ou pas, on leur prête une volonté propre : les maths ne sont plus une science faîte de logique, de constructions, de structures, de figures et donc fondamentalement dépendantes de l’Homme qui les érigent ou les découvrent suivant les écoles mais se retrouvent dotée d’une autonomie propre, d’affinités presque ; on en vient à penser qu’elles consentent à se dévoiler si et seulement si on a su les séduire, les conquérir ; bref elles vous choisissent ou vous renient définitivement. C’est vraiment un phénomène très étrange et cela explique sans doute en partie qu’on leur veuille, qu’on leur garde « rancune » comme on le ferait avec un proche.
Il y avait donc vraiment matière à s’interroger sur cet état de fait qui n’a pas d’équivalent. Il ne viendrait à l’idée de personne de dire : « la littérature ne m’aime pas ou l’histoire-géo ne m’aime pas ».
Ensuite, est-ce que le film et donc l’image était le meilleur support pour aborder cette question à mi-chemin entre les sciences humaines et la philosophie ? pas forcément et finalement la problématique à l’origine de ce projet s’étiole au fur et à mesure que le film se déroule et cela par contre, c’est vraiment dommage.
On regrette bien sûr que les interventions d’Anne Siety et de Jill Adler soient si brèves mais par parce que de ce fait le temps de parole n’est pas le même pour tous ; on le regrette car c’est par leurs remarques qu’elles étaient le plus à même sinon de répondre du moins de débloquer ce problème d’un ressentiment durable, revendiqué vis à vis des mathématiques et qui peut, dans certains cas extrêmes, évoluer vers une forme de souffrance. Je me souviens d’avoir été choquée en découvrant qu’il existait une spécialiste de la phobie des maths avec une thérapeutique propre ; penser que cette spécialité s’est imposée, c’est-à-dire qu’elle est née d’un besoin, c’est triste finalement.
On se demande comment on peut en arriver là parce qu’après tout on peut vivre et vivre même très bien avec très peu de mathématiques ; ce n’est pas pas si facile de les éviter complètement mais on peut franchement limiter les contacts à leur plus simple expression.
Comme O. Peyon a choisi de tourner un film et pas une série de films ou encore d’écrire un essai, il a dû répondre à une contrainte de temps (le pari était déjà osé donc un long métrage de 3h aurait peut-être eu un effet franchement dissuasif) et j’imagine que c’est en toute bonne foi qu’il a donc dû choisir dans chaque « classe d’équivalence » un représentant disponible, convaincant, intéressé aussi par cette aventure inédite dans sa forme. Il ne s’agissait pas d’établir la liste des conférenciers les plus à même d’animer un séminaire mais de faire un casting d’acteurs jouant leur propre rôle, sachant et prêts à se rendre accessibles.
Le choix de C. Villani semblait incontournable pas seulement comme digne récipiendaire de la médaille Fields mais parce qu’il dispose d’un aura, d’un impact, d’une forme de générosité qui le rend sympathique ; il apparaît à la fois dynamique et apaisant parce que fondamentalement à l’écoute de l’autre, quel qu’il soit. Il n’essaie pas à tout prix de placer ce qu’il a en tête, il s’adapte vraiment au milieu et pense en temps réel. Sans doute sa notoriété , tous milieux confondus, vient de cette sincérité. Lui parler, c’est se sentir important pour quelques minutes ; tout le monde est sensible à ce type d’attentions. Au niveau des porte-paroles infatigables, on découvre J. P. Bourguignon dont le discours m’a, par certains aspects, dérangée. Lorsqu’il dit que vus les salaires versés, la moindre des choses, c’est qu’on fiche la paix aux chercheurs, on comprend ce qu’il veut dire et on adhère forcément à l’idée même que passer commande d’un théorème est aberrante mais le fait est que dans une société où la précarité est omniprésente, on doit tous rendre des comptes.
Vient ensuite le spécialiste incontesté de l’Histoire des maths au sens le plus noble du terme en la personne de Jean Dhombres. Là encore, c’est vrai qu’il s’agit d’un homme mais est-ce qu’il n’était pas le plus à même de jouer ce rôle, il me semble que si.
Enfin, au niveau de la transmission et de l’enseignement qui est pour beaucoup dans l’image propagée de la matière, F. Sauvageot apporte énormément au film. Pas seulement parce qu’on le voit lors de ses cours « entrer littéralement en scène » mais parce qu’il nous fait partager son expérience, ce retour, cette forme d’introspection, de conquête de la sagesse aussi depuis l’élève un peu arrogant qu’il se souvient avoir été jusqu’au passeur de savoir qu’il est devenu, conscient que le défit « de faire comprendre » est parfois plus difficile à relever que celui de comprendre. C’est vrai que F. Sauvageot est lui-aussi un homme mais ce n’est pas à mon avis ce qu’il faut retenir.
Ce problème de parité va plus loin car j’ai lu qu’était évoqué (à force des remarques) le projet de faire un documentaire dans le même esprit mais cette fois encore plus ciblé car consacré aux femmes mathématiciennes (on a échappé de peu « aux femmes blondes mathématiciennes », ce qui aurait été possible après tout). Rien ne me laisse plus sceptique.
Est-ce qu’on ferait spontanément un documentaire sur les femmes boulangères ? Non, parce que finalement, c’est un corps de métier qui semble compatible avec le fait d’être une femme. Est ce qu’on peut envisager un documentaire sur les femmes chefs de chantier ou pompiers ? Oui parce qu’on est conditionnés et que ce ne sont a priori pas des professions à tendance féminines.
Donc si on fait un film sur la sous-catégorie des femmes en mathématiques, c’est que l’on suggère plus ou moins que ce statut est un statut d’exception. D’où la question : et pourquoi donc (je sais, les chiffres ne mentent pas ;-)) ? Je ne parviens pas à me convaincre que les femmes impliquées en sciences aient à gagner quoi que ce soit et encore moins aient avantage à plébisciter ce type « d’hommage » ; un tel long métrage aura bien du mal à éviter les poncifs et les caricatures. Ensuite, est-ce qu’être mathématicienne est un métier d’éprouvant, coûteux au niveau familial, personnel, physique ? Je ne crois vraiment pas même si je ne peux en juger que de l’extérieur. Je renvoie à un documentaire publié modestement sur youtube après sans doute une diffusion à la télévision où l’on suit en particulier une femme cancérologue, spécialiste du cancer du sein (ce documentaire n’est malheureusement plus accessible). Cette femme, véritable éponge à émotions, qui hante le service de cancérologie 10 heures par jour, qui de manière hebdomadaire est conduite à déplorer des décès, à reconnaître son impuissance face à la maladie, à engager des pronostics vitaux et qui doit en rentrant parvenir à se délester de toute cette souffrance, de tout ce malheur dont elle a été le réceptacle, le témoin pour offrir un visage joyeux, disponible, un visage de maman finalement à un bout de chou de 5 ans qui a de son côté ses problèmes minuscules d’enfant parce qu’il n’a plus ses crayons de couleurs ou qu’il s’est fâché avec son copain est ce que l’on a envie d’appeler une « femme d’exception » parce qu’elle se doit de mener une vie d’exception, une vie « au service de ».
En maths, on est, aux quelques heures d’enseignement près qui sont imposées, libres ; libres d’être du matin, libres de la nuit, libres d’emmener bébé et transat dans son bureau. Même si la tension intellectuelle est parfois à son comble, elle n’engage jamais un pronostic vital. Bien sûr que l’émotion, l’espoir, le désespoir font partie intégrante de la recherche mais quel soulagement quand on se dit qu’on intervient sur des abstractions et qu’une erreur ne peut être fatale qu’à un raisonnement.
Durant mes études, j’ai été comme tout le monde, le témoin attentif du métier d’enseignant(e)-chercheur(se) ; pour la plupart d’entre-nous, vagues thésards (es) c’était, c’est un métier de rêve. Nous êtions des centaines, ils sont malheureusement huit ans plus tard toujours des centaines j’imagine à rester sur le carreau, à ne pas avoir le talent pour accéder à ce métier qu’on aurait fait pour une misère sauf qu’on manquait d’imagination, de finesse etc ...
Comme le dit C. Villani, les maths ne sont pas innées ; comme tous les langues étrangères, pour les parler convenablement et se faire comprendre, il faut les pratiquer ; cela demande du temps, de la patience, du courage, de la précision, de la rigueur, de l’aide aussi mais s’agit-il là du seul apprentissage à ce point exigeant ?
Le cas échéant, on comprendrait qu’une forme d’admiration naisse de cette aptitude à s’oublier pour se consacrer à l’étude. Je ne pense pas. Regardez le déroulement du concours de MOF en pâtisserie (il a lieu tous les 3 ou 4 ans seulement il me semble) ; comme le mathématicien qui va mettre un peu trop vite en place une inégalité avant de se rendre compte qu’elle est juste fausse et fiche en l’air tout l’édifice de sa démonstration, le pâtissier pour un millimètre en trop, une soudure un peu fragile voit sa pièce en sucre d’écrouler. Soit il faut la rebâtir soit il faudra carrément la repenser et le travail se chiffre en centaines d’heures. Il s’agit pour ces passionnés d’un travail de titan où le corps, l’esprit, la vie tout simplement sont mis à mal. Eux-mêmes disent qu’avant d’être des Hommes, ils sont pâtissiers pour le meilleur et pour le pire.
Tout ça pour dire que toutes les passions sont émouvantes, toutes les passions sont éprouvantes ... qu’ils s’agissent d’hommes ou de femmes. Je crois aussi qu’il ne faut jamais oublier le bonheur, la chance, le privilège immenses qui fait que l’on peut vivre de sa passion ; cela vaut tous les hommages et toutes les reconnaissances.